Nous entrons au Paraguay par la frontière de la Ciudad Del Este, et nous sommes assaillis par le vacarme d’une circulation chaotique et par l’air irrespirable de cette ville un peu trop moderne à notre goût. Une fois les formalités pour le combi accomplies, nous nous empressons de la quitter et mettons le cap vers l’ouest. Au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la frontière, le paysage laisse place à un Paraguay plus authentique, avec ses marchandes de fruits et de fleurs sur le bord de la route, la végétation abondante rappelant celle de Misiones en Argentine et le bétails paissant en liberté sur le bord des routes. En chemin, nous apercevons une vendeuse de matés, ces espèces de calebasses dans lesquelles se boit l’infusion du même nom. Nous sautons sur l’occasion pour en acquérir une hors région touristique, car nous avons définitivement adopté cette boisson au goût amer légèrement fumé !
En traversant les différentes provinces d’est en ouest, nous constatons à quel point ce petit pays enclavé entre les géants brésiliens et argentins ne s’inscrit pas sur les circuits touristiques, et on peut dire que l’on ne passe pas inaperçu parmi les innombrables villages que nous traversons ! En fin de journée nous arrivons au lac d’Ypacarai, où nous escaladons une colline sur laquelle se trouve un camping, d’où nous pouvons admirer le coucher de soleil au travers des arbres. Nous demeurons trois jours dans ce havre de paix, entourés d’une végétation luxuriante, d’oiseaux aux cris singuliers, et d’araignées tarentules, aaussi! Lors de ces trois jours où nous nous refaisons une santé après avoir été malades et où Martin effectue quelques menues réparations sur le combi, nous faisons la connaissance de Ben et Christine, un couple d’Allemands voyageant dans un ancien fourgon de pompiers. Ayant plus ou moins le même itinéraire dans les jours à venir, nous décidons de faire un bout de chemin ensemble. Nous nous remettons en route, toujours cap sur l’ouest et l’Argentine, mais cette fois-ci le passage de la frontière ne se passe pas aussi facilement. Une fois au poste de douane, les agents exigent de fouiller intégralement le combi et bientôt nous nous retrouvons avec toutes nos affaires étalées sur le trottoir pendant que trois douaniers inspectent le véhicule sous toutes ses coutures. Ils nous laissent repartir au bout d’une heure interminable, en nous laissant le soin de tout ranger bien entendu. La chance ne nous sourit pas ce jour-là, car nous nous sommes à peine éloignés de quelques kilomètres que nous nous faisons à nouveau contrôler sur le bord de la route. La fouille du combi est sommaire, mais malgré cela nous repartons les nerfs à vifs. Fort heureusement, l’endroit que nous dénichons pour nous arrêter en fin d’après-midi nous récompense de toutes nos peines. Il s’agit du Parque Nacional Pilcomayo, une réserve marécageuse dans laquelle nous pouvons camper sans être inquiétés par les moustiques car l’automne est déjà bien avancé. En parcourant les sentiers sur pilotis qui sillonnent la réserve, nous apercevons une multitude d’oiseaux, des piranhas et faisons une rencontre plutôt inattendue avec un caïman ! Nous pensons même dans un premier temps qu’il s’agit d’un faux tellement il est immobile, jusqu’à ce qu’il nous fasse sursauter en bougeant lentement la tête, probablement dérangé dans son bain de soleil couchant par notre présence.
Plus tard, nous rejoignons Ben et Christine et passons une agréable soirée, agrémentée de quelques caïpirinhas…
Le lendemain nous reprenons la route de bonne heure et filons vers Salta, une ville aux pieds de la Cordillère. Au bout de deux jours commencent à se profiler les premiers reliefs des Andes à l’horizon, et nous arrivons à Salta le weekend précédant le 1er mai. On ne peut pas dire que la ville soit un coup de cœur, mais elle nous permet de retrouver quelques plaisirs urbains, comme le fait de boire un verre en terrasse, de flâner dans des rues commerçantes ou encore de s’offrir un restaurant un peu plus élaboré (nous découvrons même un restaurant végétarien-végétalien, probablement l’unique de la région !). Après avoir passé deux jours dans cette ancienne ville coloniale et avoir refait le plein de vivres, nous reprenons la route par un matin brumeux. Au fur et à mesure que nous gagnons en altitude, les nuages s’éclaircissent et laissent place à un ciel d’un bleu éclatant. Le paysage nous offre un spectacle de couleurs étincelantes, entre la roche allant de l’ocre au gris-émeraude et le doré des prairies. Nous faisons de fréquents arrêts, à la fois pour photographier la vue mais aussi pour laisser souffler le moteur, car la route commence à grimper sérieusement ! Au bout de quelques heures nous atteignons une altitude de plus de 3000m. La route sur laquelle nous sommes, la Ruta Nacionale 33, circule à travers un parc naturel appelé Los Cardones, d’après les grands cactus candélabres qui le parsèment dans un paysage de plus en plus aride. Nous traversons un plateau désertique et apercevons nos premiers lamas ! Enfin, après avoir atteint une altitude de 4000 m, nous sommes heureux de redescendre un peu, car le mal de l’altitude commence à se faire ressentir. Nous passons la fin de journée à Cachi, un joli village de montagnes aux maisons en adobe. Le soir, nous nous endormons aux sons de chants et percussions provenant d’une fête calchaqui célébrant le 1er mai un peu plus loin, avec l’impression mystique d’avoir fait un bond arrière dans le temps.
Le lendemain, nous nous levons à l’aube, car nous espérons atteindre la frontière du Chili le même jour. Nous nous rendons vite compte qu’il s’agit là d’un optimisme un peu irréaliste. La route que nous empruntons, la mythique RN40 (reliant le nord et le sud de l’Argentine par la Cordillère des Andes) grimpe de façon vertigineuse, et le moteur montre quelques signes d’essoufflements. De ce fait, nous progressons très lentement. A nouveau, le paysage est grandiose, et le fait que nous soyons seuls sur la route accentue notre sentiment de circuler sur le toit du monde. Les seuls êtres vivants que nous croisons sont des vigognes et des alpaguas, cousins sauvages des lamas, et lorsque nous atteignons le Cerro del Acay culminant à plus de 5000m, un coyote vient nous saluer avec curiosité. Nous sommes partagés entre l’éblouissement face au paysage et une inquiétude grandissante. En effet, nous avons sous-estimé la consommation de notre combi en altitude, et bientôt nous arrivons en réserve. Nous circulons à présent sur un plateau désertique, et malgré nos recherches fébriles sur nos applications, nos cartes, et tentant nos chances dans des hameaux misérables, le verdict est implacable : il n’y a pas une pompe à des kilomètres à la ronde. C’est à se demander comment les gens font ici ! La panne est inéluctable, mais nous espérons juste avoir rejoint la RN70 avant, car nous la savons beaucoup plus fréquentée. La chance n’est pas avec nous, et ce qui ne devait pas arriver arrive, nous tombons en panne. Au milieu du désert. Ironie du sort, le combi s’est arrêté juste à coté d’une de ces nombreuses croix qui jalonnent les routes d’ici, nous rappelant à quel point la circulation est dangereuse en Argentine. La situation pourrait être drôle si elle n’était pas désespérée. Nous poussons le combi sur le bas-côté par mesure de sécurité. Après ça, nous passons trois heures à tourner en rond, à se demander si nous devons rejoindre la nationale à pied ou non, mais nous savons pertinemment bien que nos pauvres petites conditions physiques de gringos ne supporteraient pas un tel effort à une telle altitude. Nous sommes essoufflés au moindre mouvement et le manque d’oxygène se fait terriblement ressentir. A un moment, nous apercevons un troupeau de lamas suivi de sa « bergère », mais il s’agit d’un faux espoir. Le peu que nous arrivons à comprendre dans notre espagnol approximatif nous confirme ce que nous savons déjà : non, il n’y a pas de pompe ni de village aux alentours, oui la nationale n’est pas trop loin, une vingtaine de kilomètres. Entre-temps, la nuit tombe, et avec elle vient le vent glacial et le froid.
Et puis, un miracle se produit sous forme d’un pick-up fonçant droit sur nous, avec à son bord, une équipe de six chercheurs travaillant dans une des exploitations minières de la région. Bien qu’ayant l’air amusés par notre situation, ils nous promettent de passer un appel radio pour des secours une fois arrivés à leur base. Ils ne savent pas nous prendre à bord car le véhicule est complet, et nous n’avons d’autre choix que de leur faire confiance. S’ensuit une heure et demie d’attente angoissée, et de loin nous pouvons apercevoir le va et vient des phares sur la nationale. Alors que nous pensons avoir été oubliés, une voiture surgit avec deux dépanneurs, qui en moins de temps qu’il ne faut pour le dire nous désensablent et nous donnent un bidon de dix litres d’essence. Nous sommes tellement soulagés que nous leur proposons le peu d’argent que nos avons sur nous et même les cigarettes qui nous avaient été données par notre ami marin bulgare du cargo pour faciliter le passage des douanes. Mais ils refusent tout en souriant et nous escortent jusqu’à la nationale après nous avoir souhaité bonne chance. Quarante kilomètres plus loin, nous atteignons Susques, une bourgade poussiéreuse comportant un seul motel où tout les roadtrippers du coin semblent se rassembler. Après nous être restauré frugalement, nous nous endormons en clin d’œil dans le combi, complètement épuisés. Le lendemain, on constate que nous ne sommes pas aux bouts de nos peines : la station-service à coté du motel n’accepte pas les cartes, nous n’avons plus un balle en poche et l’unique distributeur automatique de la ville est momentanément hors-service. De retour à la pompe, nous parvenons à négocier 25l d’essence contre des paquets de cigarettes (nous devons une fière chandelle à notre marin bulgare !). Bien que les prix du motel soient vraiment excessifs, ils ont la gentillesse de nous laisser profiter de leur wifi et de leur parking protégé du vent glacial. Nous passons la journée à préparer minutieusement la suite de notre itinéraire, à nettoyer les filtres à air et à effectuer quelques réglages. Après une bonne douche dans l’hôtel et une deuxième nuit sur le parking, nous reprenons la route, direction la Bolivie cette fois-ci ! Nous disons définitivement au-revoir à l’Argentine, qui nous aura réservé son lot d’émotions fortes…
Wahou quel suspense! Vous me faites rêver!!
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