Après avoir visité les impressionnantes ruines Tihuanacos en Bolivie, nous franchissons la frontière au sud du lac Titicaca, que nous avons décidé de visiter côté péruvien. Une petite pluie fine nous trempe jusqu’aux os alors que nous faisons la file à la douane. Au total, les formalités durent plus de trois heures, entre le bureau d’assurance qui rechigne à nous délivrer la carte verte car ils nous retrouvent pas le modèle de notre véhicule dans leur base de donnée, et le bureau d’importation temporaire qui enchaine les pauses café.
Une fois laissée derrière nous la petite ville frontalière, nous contournons une colline et découvrons enfin le lac, grand et majestueux. Les eaux lisses semblent s’étirer à l’infini, sous un ciel tourmenté. Nous roulons quelques kilomètres, traversant plusieurs modestes villages de pêcheurs, certains étant parfois surplombés par de grandes villas luxueuses. Après nous être installés pour l’après-midi dans le jardin d’un petit hôtel, nous passons le reste de la journée à nous balader dans les alentours du lac et à planifier notre parcours au Pérou dans les grandes lignes. Le jour suivant, nous nous rendons à Puno, la principale ville du Titicaca, car c’est de là que partent la plupart des excursions pour les îles du lac. Bien que les commentaires dans notre guide soient peu élogieux au sujet de Puno, nous découvrons une ville sympathique, avec un grand marché coloré, dans lequel nous prenons plaisir à nous promener et faire nos achats de vivres pour les jours à venir. Pour le lendemain, nous réservons une excursion d’une journée comprenant les îles flottantes d’Uros et l’île Taquile. A 7h le lendemain nous embarquons à bord d’une petite navette en compagnie d’une dizaine d’autres touristes. La première étape, une des nombreuses îles flottantes du lac, nous laisse quelque peu sceptiques et avec une impression d’avoir assisté à une mise en scène. A l’origine, ces îles artificielles construites en roseaux étaient habitées par une civilisation précolombienne, les Uros. Cette civilisation s’étant étrangement éteinte dans le courant du XIXe siècle, elles seraient depuis habitées par les peuplades aymaras qui vivent uniquement des revenus du tourisme générés par les excursions comme celle à laquelle nous participons. Une fois sur la minuscule île, après un court exposé sur la construction des îles, nous sommes invités à découvrir le moyen de locomotion des indiens aymaras en faisant un tour en barque de roseau, (payant, bien entendu). Etant les seuls à préférer attendre sur l’île, nous constatons que certains des locaux profitent de l’absence des touristes et empruntent de petits hors-bords pour quitter l’île. Amusés, nous surprenons même le chef de la tribu à enlever son habit traditionnel, dévoilant un joli maillot de football.
Le trajet jusque l’île suivante dure plus de deux heures, nous laissant tout le loisir d’admirer l’immensité du lac. Nous arrivons à l’île Taquile vers midi, et nous sommes tout de suite charmés par les petites criques aux eaux turquoises qui jalonnent les bords de l’île. Une fois accostés, nous grimpons péniblement les 500 marches qui escaladent la colline principale vers le village. Pas de doute quant à l’authenticité ici, nous pouvons admirer des champs en terrasse délimités par de petits murets en pierre, dans lesquels s’activent des fermiers, avec des outils qui nous donnent l’impression d’avoir fait un bond en arrière dans le temps ! Au sommet de la colline, nous faisons un festin de sandwich avocats crudités, tout en admirant le panorama. L’après-midi passe en un clin d’œil, et il est déjà l’heure de reprendre le bateau. De retour à Puno, nous choisissons de sortir de la ville pour passer la nuit dans un endroit plus « nature ». Ayant jeté notre dévolu sur un petit chemin de terre derrière une colline, nous sommes réveillés le lendemain par un berger à cheval qui vient nous saluer et nous proposer une ballade à cheval. Ledit cheval ayant l’air d’avoir connu des jours meilleurs, nous déclinons poliment l’offre et reprenons la route. Nous circulons à une altitude constante, dans des paysages de plus en plus verdoyants, longeant des torrents de montagne et des rails de train par intermittence. Nous faisons la route jusque Cuzco en deux jours, et rejoignons l’ancienne cité inca par une belle fin d’après-midi. La ville, immense, s’étale sur les versants plus ou moins abruptes de la montagne. Comme dans toutes les villes sud-américaines, la configuration des rues est en quadrillage, et à un moment nous nous retrouvons bloqués dans une ruelle étroite face à une pente partant à l’assaut de la colline escarpée, beaucoup trop raide pour nous ! En maudissant le manque de panneaux indicatifs nous faisant prudemment marche arrière. Bien entendu, l’unique camping de la ville se trouve au sommet de cette colline, et nous n’avons d’autre choix que de faire un grand détour via la périphérie de la ville pour y parvenir. Une fois en haut, la vue sur la ville est à couper le souffle. Au camping, nous faisons la connaissance de plusieurs couples de voyageurs français, qui une fois l’heure de l’apéro sonnée, nous invitent gaiement à fêter l’anniversaire de l’un d’eux. « Vous les Belges, vous avez une bonne descente, non ?! ». Ceci étant dit, il ne nous reste plus qu’à honorer notre réputation. Nous passons une très agréable soirée, échangeant des anecdotes de voyages, écoutant des récits de situations rocambolesques de presque-kidnapping et autres sables mouvants, qui font passer notre panne dans le désert argentin pour un petit pépin de routine. Le lendemain après-midi (la matinée fut comme qui dirait plus…relax !), nous visitons le magnifique centre de Cuzco et ses beaux musées, flânant dans les rues pavées. Nous achetons nos tickets pour le Machu Picchu directement au bureau du ministère de la Culture, les passeports sont requis, ça ne plaisante pas ici ! Ensuite nous organisons notre transport en fonction des conseils qui nous ont été donnés par nos voisins de camping expérimentés. Nous prendrons un minibus pendant six heures jusqu’à Hidroelectrica, situé à deux heures et demie de marche de Agua Caliente, le village au pied du Machu Picchu. Il s’agit là de l’unique alternative à l’onéreux trajet en train (plus de 110€ l’aller-retour contre moins de 10€ pour le bus). Le départ est prévu le lendemain à 7h. Au rendez-vous le matin suivant, nous spéculons sur le modèle de van que nous aurons. Correspondra-t-il aux photos de minibus ultra-moderne et spacieux exhibées par l’agence ? La réponse est non. Avec une demie heure de retard, nous voyons arriver un vieux merco fatigué, dans lequel nous nous entassons en compagnie d’une dizaine d’autres voyageurs. Les sept heures qui suivent nous nous retrouvons ballotés de gauche à droite au gré des coups de volants et de freins de notre chauffeur, qui ne semble pas connaître l’anticipation des virages ni la rétrogradation. Nous regrettons mille fois notre choix, alors que nous longeons des précipices tandis que notre Michael Schumacher péruvien double camions et autres véhicules juste avant des virages en épingle de cheveux. Nous sommes uniquement distrait de notre calvaire par la beauté à couper le souffle des paysages, entre les cimes enneigées auxquelles s’accrochent les nuages et les canyons aux fonds desquels dévalent des torrents de montagne. Au bout de ce qui nous semble être une éternité, nous parvenons entiers à Central Hidroelectrica. Après nous être brièvement restaurés, nous entamons la marche vers Agua Caliente. Après une ascension un peu raide, le sentier s’aplanit et longe les rails de trains et le Rio Urubamba dans une jungle de plus en plus dense. La température est presque fraîche, rendant la marche agréable. Nous arrivons au village en fin d’après-midi, les pieds un peu compote mais heureux d’avoir pu admirer cette nature préservée. Il ne nous faut pas longtemps pour trouver un motel pour la nuit, les prix étant étonnement bon-marché. Pour accéder au Macchu Picchu depuis le village, deux options s’offrent à nous pour le lendemain : 25 minutes de bus, ou deux heures d’ascension des quelques 1700 marches. Comme le temps nous est limité, car à 14h nous devons être de retour à Hidroelectrica pour prendre la navette de retour, nous tranchons la poire en deux, et nous accordons le luxe d’une ascension en bus. Nous redescendrons à pied. Le lendemain, nous nous réveillons au son d’une pluie torrentielle, alors que le jour n’est pas encore levé. Parés de nos imperméables, nous nous retrouvons à faire la file des bus sous une pluie battante. Il faut le mériter, ce Machu Picchu !
Une fois en haut, nous sommes largement récompensés de toutes nos peines ! Nous arpentons les différents sentiers qui mènent aux nombreux points de vue sur les ruines. Ni la pluie, ni la brume n’altèrent la vue de ce paysage mythique. Au contraire, ils lui confèrent une allure mystérieuse, presque fantomatique. Après avoir sillonné les sentiers surplombant les vestiges, nous descendons un peu et nous marchons au milieu des ruines, entourés de quelques lamas indifférents. La matinée passe rapidement, et vers midi, nous sommes heureux de voir le soleil pointer le bout de son nez. Nous sommes trempés jusqu’aux os malgré nos manteaux imperméables. Il est temps d’entamer la descente, car une fois en bas nous attend une longue marche de retour. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, une telle descente n’est pas une sinécure, et les marches inégales en pierre font souffrir nos cuisses et mollets. Nous croisons quelques courageux en sens inverse, et leur souhaitons bonne chance (et nous nous remercions de ne pas nous être infligés ce qui semble être un réel supplice). Une fois en bas, nous faisons en sens inverse le chemin de la veille, pique-niquant au bord du torrent, et nous arrivons bien à temps à Hidroelectrica. Le mini-bus arrive, avec le même chauffeur, et nous nous préparons mentalement aux heures qui vont suivre. Le trajet est un calvaire égal à l’aller, et nous sommes contents d’arriver à Cusco sains et saufs !
Nous passons encore une journée dans la capitale inca, avant de reprendre la route. Ayant choisi de couper les Andes pour rejoindre Nazca et la côte pacifique, le trajet est long et fastidieux, mais nous avons appris la leçon et ne lésinons pas sur les pauses et les étapes. Une nuit, nous dormons à plus de 4000m d’altitude dans une réserve de vigognes (rappelez-vous, les cousins sauvages des lamas). La nuit est glaciale, et le matin venu nous sommes obligés de gratter une fine couche de glace à l’intérieur du combi. Mais un soleil intense vient vite nous réchauffer, et en attendant que la glace sur le pare-brise fonde nous visitons le petit musée du site, accompagné d’une guide bénévole. Avant de repartir, nous nous laissons même tenter par quelques photos en compagnie d’une vigogne de deux mois recueillie par la fondation. Difficile de résister face à ces peluches vivantes !
Nous reprenons la route, et en l’espace d’une heure et demie nous dégringolons de plus de 3000m, avant d’atteindre la ville de Nazca, où nous ne faisons que nous arrêter pour nous restaurer et dégustons une incroyable paella. La région que nous traversons, très désertique, est surtout connue pour ses symboles immenses et mystérieux tracés dans le sable par les Nazcas, une autre civilisation pré-inca. Nous pouvons en contempler trois du haut d’un mirador, avant de poursuivre notre route. Au soir, nous arrivons à un Oasis non loin de la ville d’Ica. Le village autour de la lagune, très touristique, vit essentiellement des tours en buggy dans les dunes, mais l’activité ne nous tente pas plus que ça. En contemplant le coucher de soleil sur les dunes étonnement hautes, nous ne cessons de nous étonner des différents paysages et environnements que nous offre le Pérou. Dire que la nuit précédente nous étions emmitouflés dans nos vestes avec -5°C, à plus de 4000m d’altitude ! Le lendemain, nous reprenons la route, direction la réserve de Paracas, sur la côte. Nous y arrivons dans le courant de l’après-midi. Le paysage est à la fois étrange et beau, dans ce lieu où le désert et l’océan se rejoignent. Pas une seule trace de végétation, en revanche nous pouvons admirer de nombreux oiseaux le long des côtes et sur les bords de lagunes formés par les marées hautes. Pélicans bruns, cormorans, flamants roses, zarzillos, uburus et autres espèces indéfinissables nous divertissent tout l’après-midi. Nous nous amusons à les observer avec nos jumelles et à les identifier dans le livre que nous avons emporté. Plus loin, nous apercevons des loups de mer en train de batifoler dans l’eau. Le soir, nous campons près d’une plage de sable rouge, et nous nous endormons au son des rugissements de l’océan. Parcourant le lendemain les sentiers qui épousent les caprices des formations rocheuses de la côte, nous nous sentons seuls au monde. L’aridité du paysage, l’océan, et la présence de tous ces oiseaux indifférents à notre présence nous donnent l’impression d’être en présence d’éléments tels qu’ils étaient à la création de la terre. Délaissant presque à regret ces paysages particuliers, nous reprenons la route en passant par Pisco et la capitale, Lima. Ensuite, nous rejoignons la ville de Trujillo en deux jours, traversant des paysages désolés et ne nous arrêtant qu’à la nuit tombée pour dormir un peu. En revanche, Trujillo est une jolie petite ville, qui nous change des bourgades poussiéreuses et sales qui caractérisent la région que nous avons traversée. Nous y passons une agréable après-midi à nous promener, avant de rejoindre sa station balnéaire, Huanchaco. Celle-ci est un spot bien connu des surfeurs, et nous y passons une chouette fin d’après-midi à les observer, ainsi que les pêcheurs rangeant leurs barques de totora (roseaux) sur la plage.
Le lendemain, nous consacrons la matinée à la visite du site de Chan Chan, une ancienne cité de la civilisation Chimu dont les ruines en imposent encore par la grandeur de leurs murs d’adobe et leurs frises presque intactes qui les décorent. Nous reprenons ensuite la route sans nous arrêter afin de pouvoir bien avancer et nous rapprocher un maximum de la frontière équatorienne. Le paysage oscille entre déserts sableux et marécages formés par les pluies abondantes qui ont inondé la région il y a peu. Le soir approchant, nous décidons de quitter la route principale et de nous enfoncer dans un sentier au milieu d’herbes hautes. Un peu trop confiants, nous commettons l’erreur de vouloir nous en écarter un peu pour garer le combi sur une surface plane. Bien entendu, nous nous retrouvons rapidement ensablés. Après quelques tentatives infructueuses pour nous sortir de là, nous remettons la partie au lendemain, car la nuit est tombée et pour couronner le tout, moustiques et autres bestioles fort peu sympathiques commencent à nous assaillir. Le lendemain, nous sommes réveillés à l’aube par un bruit de mobylette et des sifflements, mais le temps de nous habiller et de sortir nous sommes seuls à nouveau. Nous rejoignons la route principale, faisant signe aux rares pick-ups passant par là dans l’espoir d’être aidés, en vain. A la cabane resto-route du coin, deux hommes nous recommandent d’appeler la station de péage à une heure de là pour obtenir une dépanneuse. Un peu dubitatifs, nous gardons cette solution en dernier recours et retournons au combi pour une énième tentative de désensablement. Alors que nous ramassons des pierres pour les glisser sous les roues, nous sommes approchés par une moto triporteur, probablement la même qu’au matin, avec cinq hommes à bord. On a à peine le temps de demander de l’aide qu’ils sont déjà occupés de creuser autour des roues du combi et de glisser des lamelles de caoutchouc d’anciens pneus dessous, en complétant par de hautes herbes qu’ils arrachent à mains nues. En deux temps, trois mouvements (et quelques poussées), le combi est sorti de son bac à sable et ces hommes à qui nous devons une fière chandelle s’en vont, presque sans un regard en arrière. Penauds, nous reprenons notre route et filons vers la frontière, jurant qu’on ne nous y reprendra plus. Par endroits, l’asphalte défoncée sert de lit à des cours d’eau qui traversent la route de part en part. Nous les passons sans être inquiétés pour la plupart, jusqu’à arriver à l’un d’eux, plus profond. Sans voir le sentier de fortune sur le côté, nous nous enfonçons dans l’eau et la boue. Complètement embourbés à présent, nous avons du mal à en croire notre malchance. Mais bientôt, deux hommes s’arrêtent et pendant deux bonnes heures, s’acharnent avec nous pour essayer de nous sortir de là. L’un d’eux part et revient avec une pelle et commence à creuser dans la boue afin de dévier le cours d’eau dont le niveau menace d’immerger le moteur. Peu après, nous arrêtons un camion passant par là. Son conducteur réclame 100 soles pour nous tracter hors de l’eau, somme que nous n’avons pas étant donné que nous avons écoulé nos derniers soles avant de passer la frontière à 3 km de là. Nous parvenons à négocier à nouveau avec des paquets de cigarettes (encore une petite pensée pour notre ami marin bulgare). Lentement, le combi est extirpé de son piège de boue, et nous sommes soulagés de constater que le moteur démarre au quart de tour. Après avoir remercié du fond cœur nos sauveurs et que Martin les ait dépannés en regonflant les pneus de la voiture de l’un deux, nous reprenons la route en paniquant un peu à chaque flaque suivante. Mais nous parvenons sans encombres à la frontière et disons au revoir au Pérou, qui malgré nos récents déboires, nous aura émerveillé du début à la fin…
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