Nous parcourons les quelques cent kilomètres qui nous séparent de la frontière mexicaine à travers des collines verdoyantes où nous ne croisons que quelques autres conducteurs. Une fois à la douane, les formalités côté Guatemala se passent dans des camions servant de bureaux temporaires. Lorsque nous passons du côté mexicain, nous constatons en revanche une modernité assez déconcertante dans cet environnement de jungle. Ici, pas de harcèlement pour faire du change, pas de vendeurs de boissons, perruches ou autres babioles. Les bâtiments sont modernes, les différentes administrations sont indiquées clairement et les photocopies se font dans les bureaux. Du cinq étoiles en terme d’infrastructure frontalière !
Lorsque nous reprenons la route, il faut peu de temps pour que se confirme ce qui se dit des routes mexicaines : parsemées de dos d’ânes à faire pâlir le plus hardi des conducteurs, et placés de préférence derrière un virage ou dans des endroits des plus incongrus. Mis à part ça, nous filons à une bonne vitesse vers notre prochaine destination, les ruines de Palenque. Toujours à une allure soutenue, nous empruntons peu avant notre arrivée une route en terre en relativement bon état, jusqu’à ce qu’un nid de poule profond nous surprenne. En poursuivant la route plus lentement, un bruit métallique se fait entendre, et après quelques inspections, Martin constate que la barre stabilisatrice s’est pliée et tape contre le châssis à chaque léger dénivelé. Heureusement, il y a plus de peur que de mal, et nous parvenons sans peine au camping situé près du site maya. Celui-ci est situé en plein cœur de la jungle, et ses douches semblent être le quartier général de toute la faune locale. Nous devons partager notre douche avec des salamandres, divers insectes, des petits crapauds, des araignées et même un scorpion ! Ce léger détail mis à part, l’endroit nous plaît et nous décidons d’y passer deux nuits. Le lendemain, après une nuit un peu perturbée par les cris des singes hurleurs, Martin travaille à redresser la barre pliée avec les moyens du bord : une sangle, et un arbre. L’unique tentative est couronnée de succès, et une fois les outils rangés nous nous préparons à aller visiter les ruines de Palenque. C’est dans une chaleur étouffante que nous découvrons les grands temples et palais mayas. Au sommet d’un des temples, lui même situé au sommet d’une colline surplombant la jungle, nous pouvons admirer la plaine qui s’étend jusqu’à l’horizon, et avec cette vue survient la pensée que les habitant de cette cité admiraient probablement le même paysage il y a des siècles de cela…l’effet est étrange.
De retour au camping, nous passons une dernière nuit au milieu des singes hurleurs, que nous avions pu observer la journée précédente sautant de branche en branche. Le lendemain, nous nous mettons en route de bonne heure et roulons beaucoup ce jour-là. Nous atteignons Oaxaca en deux jours, marquant à nouveau un retour en altitude et une fraîcheur salutaire. Nous nous établissons pour quelques jours à Santa Maria de Tule, un petit village dont la principale attraction est l’arbre de Tule, « le plus vieil arbre du monde ». Bien qu’il ne s’agisse pas réellement de l’arbre le plus vieux du monde, comme nous l’apprendrons plus tard, les quelques 42 mètres de circonférence du tronc noueux nous laissent ébahis. Outre cette attraction, nous avons la chance d’assister à des festivités locales dans le cadre de la Guelaguetza, un festival d’origine zapotèque qui a lieu chaque année au mois de juillet et qui donne lieu à des parades, des danses, et d’autres animations culturelles pendant deux semaines. Les stands de cuisine et boissons locales ne sont pas en reste, et nous passons l’après-midi à nous gaver d’empanadas farcies de fromage et de fleurs de courgettes. Nous nous risquons même à goûter le mezcal, un alcool similaire à la tequila produit dans la région. C’est avec un démarche un peu plus incertaine que nous retournons au camping, et nous nous levons le lendemain avec les cheveux poussant à l’envers. C’est du costaud, le mezcal !
Nous passons cinq jours paisibles à Santa Maria de Tule, profitant des nuits fraiches pour enfin rattraper les heures de sommeil perdues dans la chaleur étouffante des nuits tropicales. L’occasion aussi, de faire une tentative plutôt audacieuse pour remplir nos bouteilles de gaz qui nous servent à cuisiner. En effet, cela fait presque depuis le début du voyage que nous galérons pour trouver un moyen de recharger ces bouteilles de propane, censées être « mondiales » mais que pas même le moins regardant des vendeurs de gaz n’accepte de remplir à cause de l’ouverture trop spécifique. C’est dans son immense atelier que Calvin, le propriétaire canadien du camping, met au point un système pour recharger nos bonbonnes via son propre réservoir de combustible. On vous passe les détails techniques, mais nous ressortons de là avec nos deux bouteilles chargées au trois quarts. A nous la cuisine gastronomique ! Jusque là, nous sommes devenus des as de l’hypocuisson afin de tirer en longueur notre combustible.
Lorsque nous quittons Santa Maria de Tule, c’est avec des batteries chargées à bloc et notre filet à provisions rempli de fruits et légumes du marché que nous nous remettons en route. Nous avons réservé notre ferry vers la Basse Californie pour dans 5 jours, ce qui nous laisse du temps pour visiter la ville de Guadalajara et de passer un peu de temps sur la côte. Malheureusement, nous devons mettre entre parenthèse la pratique du surf, car Martin souffre d’étranges piqûres ayant dégénéré en lésions, et ce depuis plus d’un mois. Jusqu’à présent, les deux traitements qu’il a reçus successivement au Nicaragua et au Guatemala se sont avérés inefficaces, et nous commençons à envisager l’option de devoir consulter quelqu’un de plus spécialisé, peut-être aux Etats Unis. Il s’agit d’une ombre au tableau idyllique qu’est notre voyage parfois. Bien que nous tentons de l’ignorer la plupart du temps, c’est avec une inquiétude grandissante que nous parcourons les routes mexicaines, et c’est peut-être cette inquiétude qui nous pousse à accélérer le tempo.
Malgré cela nous passons les derniers jours sur le Mexique « continental » dans des cadres paradisiaques, d’abord dans le village typique et reculé d’Etzatlan, et puis en bord de mer, profitant un peu de la piscine avec vue sur océan et dormant sous un manguier entourés de lucioles. La journée, nous travaillons sur divers articles et publications, et le soir nous scrutons le rivage à l’affût des tortues qui se montrent dès que les rayons de soleil commencent à décliner.
Lorsque nous nous dirigeons vers Mazatlan, ou nous devons prendre le ferry dans l’après-midi, un incident plus cocasse que fâcheux marque notre départ : nous nous faisons arrêter par deux policiers qui affirment nous avoir grillés en plein excès de vitesse, sur une route ou là limite est à 80km/h. Nous essayons de leur expliquer que cela est impossible car notre véhicule ne roule pas beaucoup plus vite que ça dans les routes sinueuse, mais malgré le manque de preuve de notre excès de vitesse, ils ne veulent rien entendre.
« Je garde votre permis, en attendant que vous reveniez avec votre amende payée ». Nous faisons mine d’être indignés par le montant exorbitant de l’amende, et ils nous laissent entendre qu’on peut « s’arranger ». Ce qu’ils ne savent pas, c’est qu’ils détiennent non pas le permis international de Martin mais bien une copie de celui-ci qu’il avait pris soin de plastifier et que nous présentons à chaque contrôle justement pour éviter ce genre de…désagrément.
Nous repartons donc en ayant du mal à ravaler notre sourire, et arrivons bien à temps pour embarquer à bord du ferry.
La traversée dure 12 heures et est assez éprouvante, le manque d’air se faisant ressentir sur le pont où nous dormons dans le combi. Cerise sur le gâteau, les conducteurs de camions n’hésitent pas à faire tourner leur moteur une bonne partie de la nuit afin d’avoir l’air conditionné, ce qui crée un vacarme assourdissant dans lequel nous peinons à nous endormir.
Un peu fourbus, nous nous réveillons le lendemain en vue des terres dorées de Baja. Les couleurs sont saisissantes, entre l’ocre des terres brûlées par le soleil et le bleu profond de la mer. Le terme aride prend tout son sens.
En débarquant, vers midi, nous prenons également pleine conscience de ce que veut dire le mot « chaud ». Sans thermomètre à bord, nous ne pouvons qu’estimer la température, mais elle ne nous semble pas loin des 45 °C.
Nous longeons pour un temps la côte, avant de bifurquer vers l’intérieur des terres et de poursuivre à travers le désert. Il fait tellement sec que nous ne transpirons pas malgré la température élevée. Le paysage oscille entre déserts rocailleux et champs de cactus géants. On ne pensait pas qu’il puisse exister autant de sortes de plantes à épines !
Pour le soir, nous misons sur un RV park (autrement dit un parc à caravanes), et lorsque nous discutons avec le propriétaire, celui-ci nous conseille vivement de ne pas attendre les Etats Unis pour aller montrer les lésions de Martin. Il nous recommande l’hôpital de la ville, construit récemment, et nous nous y rendons de suite car les blessures sont effectivement de moins en moins belles à voir et semblent s’agrandir. Une petite séance aux urgences plus tard, nous en ressortons un peu dépités et avec un autre traitement d’antibiotiques. Bien que la prise en charge ait été très pro, nous sommes à nouveau tombés sur un médecin ne prêtant presque pas attention à nos explications. Nous achetons malgré tout le traitement que Martin entame le soir même en croisant les doigts.
Nous repartons le lendemain tôt afin de bénéficier de la (relative) fraicheur matinale. L’unique autoroute de la péninsule joint le nord au sud en passant tour à tour par le désert et les côtes est et ouest. Sur la côte est, nous nous arrêtons brièvement dans le courant de la matinée à Santa Rosalia, afin de jeter un œil à la curiosité locale de cet ancien village minier. Il s’agit d’une église en métal, dessinée par Gustave Eiffel lui-même à l’occasion de l’Exposition Mondiale de Paris de 1884 et importée en plusieurs pièces dans les années 1890 par la compagnie française qui dirigeait l’exploitation minière de la région.
Après la visite de l’église en kit et requinqués d’un café glacé, nous reprenons la route qui longe la côte, un vent léger adoucissant un peu la chaleur écrasante. L’eau turquoise appelle à la baignade, mais nous préférons nous abstenir pour ne pas aggraver les blessures de Martin. Ce soir-là, nous dormons à nouveau sous des arbres fruitiers, faisant un festin de mangues et de papayes le lendemain avant de reprendre la route. Direction « el Ojo de Liebre » (l’œil du lièvre), une région de la côte ouest réputée pour ses températures plus fraîches et qui doit son nom à la couleur rougeâtre de ses marécages. Par ailleurs, la région côtière constitue une des plus importante destination de migration des baleines grises. Malheureusement, celles-ci ne nous ont pas attendus, mais nous passons malgré tout une après-midi à nous balader sur la plage, qui nous fait presque penser à la Zélande hollandaise. Le soir, nous nous régalons avec des tacos de fruits de mer, et le lendemain nous reprenons la route vers notre dernier arrêt en Basse Californie, le geyser de Bufadora.
On ne peut que constater un rapprochement avec la frontière des USA lorsque nous parvenons au lieu du geyser. Une foule compacte se presse dans des petites allées formées par d’innombrables stands de souvenirs, tous plus improbables les uns que les autres, et c’est avec difficulté que nous nous frayons un chemin jusqu’au geyser en question. Après avoir pris un bain de foule, nous dénichons un coin plus au moins dégagé surplombant l’attraction, et nous y dégustons pour la dernière fois une « coco loco » (noix de coco dont la chair est découpée et épicée avec une sauce pimentée et du jus de citron) en observant l’impressionnant phénomène naturel.
Le soir, nous peinons à nous endormir tellement nous sommes nerveux. Car le lendemain, nous franchirons la frontière des Etats Unis, et comme cinq mois auparavant, il s’agit d’un saut dans l’inconnu. On réalise que nous nous sommes faits presque malgré nous à l’Amérique du Sud, aux gens, à la dynamique,… et ce qui nous attend, nous le savons, sera complètement différent, bien que nous ne sachions pas comment. Comme quoi, même après quatre mois sur des routes poussiéreuses ou non, boueuses ou non, des galères et des moments magiques, des moments de solitude où on se dit qu’on y arrivera pas et que le manque de confort est trop difficile, après des nuits chaudes et des nuits glaciales, même après toutes ces épreuves qui nous ont endurcis, on se surprend à avoir des appréhensions face à l’inconnu qui s’offrira à nous dans les jours à venir. Mais il s’agit d’un nouveau départ, et comme il y a cinq mois, nous allons saisir cette nouveauté à pleines mains !