Les frontières sont rarement représentatives de l’entièreté d’un pays, et celle où nous entrons au Cambodge ne déroge pas à la règle. D’énormes casinos jalonnent les bords d’une route défoncée, les officiers derrière leur bureau sont de mèche avec des chauffeurs de tuk-tuks éméchés et autres rabatteurs dans des petites arnaques à 5 dollars. Quand on s’en sort tant bien que mal avec nos visas en poche, la nuit est tombée et nous devons attendre le lendemain matin pour prendre le bus vers Phnom Penh, la capitale.
Nous débarquons à Phnom Penh le matin du 24 décembre, dans une chaleur étouffante. Mais on s’y est progressivement fait, et les jours d’adaptation difficile à Bangkok sont bel et bien derrière nous ! Le chauffeur du tuk-tuk qui nous emmène vers notre guesthouse nous enjoint de garder nos sacs bien serrés contre nous, les vols à l’arraché étant malheureusement monnaie courante dans la ville. Notre hôtel est situé dans une ruelle derrière un temple, et cet endroit sera notre havre de paix dans les jours qui suivront. Après un modeste mais fort appréciable réveillon de Noël, on se réveille d’attaque le 25 décembre pour entamer les démarches administratives pour importer temporairement le combi au Cambodge. Avec une lettre un peu obséquieuse, nous devons nous présenter au ministère du tourisme afin de solliciter un document qui nous permettra de passer outre les taxes d’importation exorbitantes. Nous devrons ensuite aller faire approuver ce précieux sésame au ministère des douanes, et avec ces documents, nous devrons trouver un custom broker qui se chargera de dédouaner le conteneur à Sihanoukville. La procédure peut prendre trois jours comme elle peut en prendre dix, mais le temps joue contre nous, car l’arrivée du cargo a été avancée de cinq jours. On croise les doigts.
Entre deux administrations, on visite certaines attractions de la ville, dont le tristement célèbre S-21, la prison de Tuol Sleng. C’est là que des milliers de personnes, opposants supposés du régime Khmer rouges, furent torturées et assassinées entre 1975 et 1979. La visite de cette ancienne école convertie en lieu de mort, témoin de la folie meurtrière de l’idéologie khmère rouge, fait froid dans le dos…
La chance nous sourit (la chance, ou la promesse d’un petit pourboire, peut-être), et nous récupérons la lettre du ministère du tourisme deux jours après en avoir fait la demande, et la faire approuver par le bureau des douanes ne nous prend qu’une après-midi. Le lendemain, nous embarquons dans un minibus à destination de Sihanoukville.
Pour la première fois, nous passons le Nouvel An sous les cocotiers dans un pays tropical. Même si le paysage est idyllique, le manque de nos proches se fait ressentir un peu plus fort depuis Noël…on se console en se disant qu’on se rattrapera l’année prochaine !
Certains derniers petits rebondissements nous font craindre le pire, mais après une discussion avec le chef des douanes himself, la solution s’arrange, et le 2 janvier, nous récupérons le combi intacte. D’abord seuls à l’ouverture des portes du conteneur, nous nous retrouvons vite entourés de curieux. Pendant que Martin procède à une petite inspection avant de redémarrer, des sifflements admiratifs se font entendre dès qu’il ouvre le capot moteur, certains se prennent même en photo avec le van, d’autres tentent de déchiffrer nos prénoms inscrits à l’avant. Ce ne sera que la première d’une série de réactions d’étonnement à travers l’Asie du Sud-Est! Nous passons encore une journée le long de la mer, profitant de la fraicheur de la brise maritime pour tout remettre en place dans le van (les lois d’import/export nous avaient obligé à tout empaqueter). Quelques petites mauvaises surprises nous attendent, comme la pompe de notre réservoir d’eau qui s’est fendue net lors de la traversée, ou encore les pattes de la galerie de toit qui menacent de céder. Rien qui ne puisse être réparé toutefois, et c’est le cœur léger que nous reprenons la route, après plus d’un mois d’interruption.
Nos premières destinations sur la route sont Kampot, la région célèbre pour son poivre, et Kep, une petite ville connue pour son marché au crabes. Nous visitons une plantation de poivr(iers ?) en fin d’après-midi, dormons à deux pas des buffles d’eau près de l’exploitation. A Kep, des crabes pêchés sous nos yeux nous sont servis garnis de grappes de poivre frais, on se régale. Direction ensuite vers Siem Reap et les vestiges d’Angkor Wat. Nous remontons le Tonlé Sap, l’immense lac-rivière au centre du pays, en nous arrêtant dans de petites villes peu touristiques. La chaleur est telle que durant quelques nuits nous désertons le van pour dormir dans des motels à 5 dollars. Nous restons deux jours à Battambang, le temps de faire resouder les pattes de notre galerie de toit.
A l’arrivée à Siem Reap, nous nous dirigeons directement vers les bureaux de la police touristiques, car nous savons, grâce à notre application IOverlander, qu’ils sont plutôt favorables à laisser les voyageurs camper sur leur terrain. Nous voilà donc établis pour une petite semaine à deux pas d’Angkor, et nous savons que le combi sera plus qu’en sécurité durant les jours où nous visiterons les différents sites touristiques ! Un des agents vient nous trouver et propose de nous accompagner pour aller acheter nos tickets d’entrée, car il a fini son service et enchaine avec son deuxième job, qui n’est autre que…chauffeur de tuk-tuk ! on rigole intérieurement et on accepte, car on a déjà mis le van en mode sédentaire pour quelques jours, et que le guichet des tickets est, comme par hasard, situé à 5km de l’entrée d’Angkor (c’est un petit système économique bien rodé).
Pour la visite de ce site archéologique qui est un de nos « must », nous avons opté pour un pass de trois jours, que nous étalerons sur une petite semaine pour pouvoir profiter pleinement des sites archéologiques sans pour autant faire une overdose.
Le jour suivant, nous visitons donc de fond en combles Angkor Wat, mais aussi Angkor Thom, l’autre temple-cité, avec le Bayon et ses mille visages, la terrasse du roi lépreux, et d’autre plus petits temples des environs enfouis dans la jungle… sans le vouloir, nous nous retrouvons un peu à contre-courant de la foule de touristes, car nous faisons tout à pied et évitons ainsi les circuits tout faits des tuk-tuks. La journée passe en un clin d’œil.
Le lendemain, on consacre la journée à Siem Reap, on visite un atelier destiné à la réhabilitation des arts cambodgiens, « les Artisans d’Angkor », on se balade dans les rues ombragées, dans les marchés et on s’aventure même dans la fameuse « Pub Street », juste pour nous donner un peu de courage pour ce qui nous attend au soir…un restaurant d’insectes ! Au menu, des scorpions en wok, des samossas de tarentules, des poêlées de vers de soie, des nems de fourmis…entre autres réjouissances.
« Je n’ai pas de tarentules entières en ce moment, nous informe le patron de l’établissement, car elles sont en période de reproduction ». Zut alors…
Pour notre deuxième jour de visite des temples, nous négocions un circuit sur mesure avec un tuk-tuk, et visitons les temples plus éloignés de la partie est : le Neak Pean, petit temple au milieu de l’eau, le Banteay Kdei et ses couloirs infinis, le Sra Srang, et enfin, le Ta Prohm, où la nature reprend lentement mais surement ses droits. Avec un petit air de déjà vu, pour les fans de Tomb Raider…
On laisse s’écouler deux jours avant de profiter une dernière fois de nos pass. Ce matin-là, nous nous levons à l’aube pour voir le soleil se lever sur Angkor Wat. Quand nous arrivons, avec le combi cette fois-ci, quelques courageux attendent déjà au bord du bassin entourant le site. Mais le ciel est couvert à l’est, et l’effet spectaculaire escompté n’est pas au rendez-vous. Pas de problème, on file vers les lieux qui nous ont le plus marqué, et l’heure matinale fait que nous sommes presque les seuls à les parcourir. Avis aux voyageurs visitant Angkor et ses environs, se lever à l’aube est sans conteste la meilleure chose à faire ; la fraîcheur matinale, l’absence de la foule, la brume qui auréole les nombreux bassins encadrant les temples… quelle sérénité ! Et on s’en donne à cœur joie pour les photos.
Nous quittons Siem Reap en milieu de journée, et parcourons quelque 200 kilomètres en redescendant le long de la rive est du Tonlé Sap. Il ne nous reste que quelques jours avant la fin de notre visa cambodgien, en on entend bien en profiter un maximum et visiter les régions reculées du pays.
Un jour, nous nous arrêtons dans un marché d’un petit village pour faire le plein de produits frais. En essayant de faire abstraction des mouches bourdonnantes et de l’odeur renversante des étals de poissons plus loin, on devise quant au légumes à acheter, pak choy ou carottes, ou alors des navets ? Lorsqu‘un un petit attroupement se forme autour de nous et s’esclaffe devant nos grandes tailles. Le comble du comique arrive quand une des femmes s’approche de moi et touche tour à tour son nez puis le mien, marquant ainsi la différence indéniable entre nos deux morphologies. Quel cap…que dis-je, c’est une péninsule !
On poursuit notre route, en parcourant la campagne cambodgienne, jusqu’à arriver au mythique Mékong. En remontant son cours, on observe d’autant plus la vie rurale du pays, les grandes rizières et les maisons sur hauts pilotis. Enormément de temples aussi, dont la richesse teintée de kitsch nous étonne à chaque fois au milieu de certains villages reculés.
Dans le Ratanakiri, province du nord-est, les rizières font place à de grandes exploitations d’hévéas (produisant le caoutchouc) et d’anacardiers (noix de cajou), sur fond de terre rouge. Nous passons trois jours dans la région de Ban Lung,(qui signifie « terre rouge ») où un petit morceau de jungle préservée abrite un lac de cratère, profond de 50 mètres, et plusieurs cascades. A nouveau, sur un parking d’une cascade, un attroupement se forme autour de nous alors que nous cuisinons un petit en-cas. Mais cette fois, ce n’est pas tant nos faciès d’occidentaux qui étonnent, mais plutôt le combi ! Les enfants montent sur les bancs pour mieux voir ce qu’on fabrique sur notre petit meuble de cuisine, les hommes passent une tête à l’intérieur pour voir l’aménagement, les femmes montrent du doigt la pochette des ustensiles de cuisine qui pend à la vitre… quelle drôle de sensation, que d’être observés comme ça ! Malheureusement, la barrière de la langue empêche toute réelle communication à part des sourires. Lorsqu’on quitte l’endroit, on a droit à un petit public qui nous fait signe de la main, et la légère sensation de gêne s’estompe…
Le jour arrive vite, où nous devons quitter le pays, car notre visa arrive à échéance. Nous avons hâte de voir ce qui nous attend au Laos!